L’indemnisation des « féminicides »

En France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint, ou de son ex-conjoint, soit 136 en 2024…103 à fin août 2025 !

Cette intolérable vérité s’adosse sur d’autres constats amères : 282 % d’augmentation des violences sexuelles entre 2017 et 2023, 54 % commises dans la sphère familiale, financement insuffisant de la politique de lutte contre les violences sexuelles (0,003 % du budget).

Bien que légitimes et compréhensibles, les volontés associatives de reconnaissance législative du crime de « féminicide » se heurtent aux obstacles constitutionnels, faisant en outre émerger des effets contre-productifs parfois inattendus.

Le processus indemnitaire n’est pas moins complexe pour les proches !

La reconnaissance du Féminicide en droit pénal ?

Au constat de ce qu’elles ont dénoncé relever d’une « législation morcelée et incomplète » plus de soixante associations et organisations syndicales ont sollicité du législateur l’adoption de 140 mesures insérées dans une « loi-cadre » susceptible d’enfin lutter efficacement contre les violences faites aux femmes.

Si l’Assemblée nationale a adopté, le 28 janvier 2025, la proposition de loi visant à créer l’infraction pénale de « contrôle coercitif » défini comme une forme particulière de violence psychologique, inspirée notamment de la définition jurisprudentielle de «schéma de conduite calculé » l’insertion de l’infraction spécifique de Féminicide dans le code pénal s’entend combat nettement plus ardu.

Illustration féminicide

Ainsi, le rapport parlementaire d’information « Au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes » du 18 février 2020, a relevé plusieurs obstacles juridiques majeurs, inchangés depuis :

✓ Absence de définition unanime du féminicide : celui-ci peut résulter d’une typologie hétérogène de mobiles, tirés soit de l’appartenance de la victime au sexe féminin, soit du principe de domination patriarcale, voire d’une théorie masculiniste mortifère de type MGTOW*.

Cet hétéroclisme s’entend également de l’attribution de la qualité de victime, notamment au sein d’un couple lesbien, par exemple ;

✓ Rupture du principe constitutionnel d’égalité défini à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : l’infraction « autonome » de féminicide serait probablement inconstitutionnelle au motif que cette infraction criminelle ne considérerait pas les auteurs et les victimes de manière neutre et égale.

Selon le législateur, le principe de neutralité universelle ne saurait être remise en cause, excluant en cela toute considération spécifique tels le parricide ou l’infanticide, supprimés du code pénal lors de sa réforme de 1992 ;

✓ Risque d’affaiblissement de l’infraction criminelle et de sa répression : la spécification de l’infraction, et ainsi sa complexité nouvelle, nuirait non seulement à l’efficacité simple de la définition criminelle, mais alourdirait la charge de la « probatio » c’est-à-dire de la preuve de culpabilité à rapporter.

Par ailleurs, l’insertion du féminicide en droit français mettrait à jour l’effet contre-productif d’une catégorisation des femmes, désormais définies comme « victimes par principe ». Un tel postulat se situerait clairement à l’opposé cardinal de la lutte d’égalité entre les sexes, ce qui n’est pas le but recherché.

Un arsenal pénal déjà suffisant ?

Il ressort des articles 221-1, 221-2, 221-3 et 221-4 du Code pénal, insérés au chapitre des « atteintes volontaires à la vie de la personne » un ensemble législatif propre à identifier les conséquences de l’animus necandi (intention criminelle) avec la sanction logique d’une peine de réclusion de trente ans (meurtre) ou à perpétuité (meurtre avec préméditation).

De manière complémentaire, le Code pénal retient au visa de l’article 132-77 la qualification de meurtre aggravé lorsque celui-ci est « précédé, accompagné ou suivi de de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée ».

Enfin, l’article 132-80 du Code pénal prévoit l’aggravation de la peine criminelle lorsque les faits sont commis par conjoint, concubin, partenaire pacsé, ex-conjoint, ex-concubin ou ex-partenaire pacsé, incluant le meurtre exécuté en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime.

C’est déjà ça !

La procédure pénale en cas de décès ?

Devant le Juge d’instruction :

En complément de la faculté pour les proches de déposer plainte dans le cadre de l’enquête de police judiciaire, la procédure pénale leur réserve le droit de participer pleinement à l’information judiciaire, et notamment :

✓ De de constituer « partie civile » devant le Juge d’instruction, sous réserve de justifier d’un dommage personnel et direct causé par l’infraction (article 85 CPP) ;

✓ De solliciter leur audition, celle d’un témoin, une confrontation, ou tous actes nécessaires à la manifestation de la vérité (article 82-1 CPP) ;

✓ D’obtenir copie du dossier d’instruction par le biais de leur Conseil (article 114 CPP) ;

✓ De saisir de la chambre de l’instruction en cas d’inaction prolongée du juge d’instruction (221-2 CPP).

De la même manière, les parties civiles peuvent interjeter appel d’une ordonnance rendue par le Juge d’instruction, ou d’une décision de non-lieu rendue au bénéfice du mis en examen.

Devant la Cour d’assise :

La procédure pénale confère aux parties civiles des droits identiques à ceux octroyés devant le Tribunal correctionnel, avec la particularité de pouvoir solliciter dans le cadre de la réunion préparatoire au procès la citation de certains experts ou témoins.

Cette prérogative est cependant soumise à l’appréciation souveraine du Président et de son pouvoir « discrétionnaire ». De la même manière, l’impossibilité pour les parties civiles de récuser les jurés titulaires tirés au sort, rappelle sans équivoque le rôle subalterne qui est le leur dans un procès pleinement centré sur l’accusé.

Il en est encore de l’impossibilité pour les parties civiles d’interjeter appel de l’arrêt rendu sur l’action publique (condamnation pénale à la peine de réclusion) contrairement à l’accusé et au Parquet Général !

Fort heureusement, les parties civiles ont vocation à plaider leur cause dans le cadre des actions publiques et civiles, sollicitant à ce titre la « liquidation » de leurs postes de préjudice, et la condamnation corrélative du « condamné ».

Pour autant, cette audience n’a que peu d’intérêt pratique, le « condamné » n’ayant généralement que peu de ressources financières, justifiant la saisine préalable de la C.I.V.I par les ayants-droit.

La C.I.V.I ?

L’impécuniosité de l’auteur criminelle impose le plus souvent aux ayants-droit de saisir la Commission d’I’ndemnisation des Victimes d’Infractions du domicile de la victime ou du lieu de la juridiction pénale compétente, aux conditions d’accès définies à l’article 706.3 CPP.

L’infraction pénale doit ainsi relever de faits volontaires commis en France ou à l’étranger, et présenter le caractère matériel d’une infraction (en l’espèce, le meurtre ou l’assassinat).

Les délais sont pour le moins restreints : trois ans à partir de la date de l’infraction si aucun procès n’a eu lieu, un an à compter de la décision pénale rendue à titre définitif.

Il est regrettable à ce sujet que la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, ayant étendu celle-ci de dix à vingt ans pour les crimes, n’ait pas connu d’équivalence en matière de délai de saisine de la C.I.V.I.

S’agissant des violences faites aux femmes, d’autres infractions sont spécifiquement retenues : agression ou atteinte sexuelle, inceste, viol, détention et séquestration, traite humaine et proxénétisme.

À la lecture des « mémoires » produits par les ayants-droit de la victime directe décédée, également dénommés « victimes indirectes » ou par « ricochet » et des observations du F.G.T.I (Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions) la C.I.V.I rend une décision sur les postes de préjudices sollicités.

Quels postes de préjudice pour les ayants-droit ? 

La qualité de proche s’entend juridiquement de celle d’ayant-droit, c’est-à-dire du droit tiré des liens affectifs et patrimoniaux en résultat d’une « communauté de vie habituelle » et dont le décès a généré un préjudice à la fois personnel, grave et certain.

La qualité d’ayant-droit inclut tout aussi bien les ascendants, descendants et collatéraux, concubin(es) fiancé(e)s et partenaires pacsés. 

La vocation d’ayant-droit induit surtout la capacité à revendiquer l’indemnisation des postes de préjudices, tant de la victime directe, que de ceux subis personnellement, qu’ils soient moraux et/ou patrimoniaux, c’est-à-dire économiques.

1/ Les préjudices transmis par la victime directe :

Les conséquences des blessures dont la victime directe a souffert, entre le fait générateur (acte criminel) et son décès, se transmettent dans le patrimoine successoral des ayants-droit, victimes indirectes.

Deux cas peuvent se présenter :

✓ Décès sans hospitalisation : la victime n’ayant pas subi de traumas somatique et/ou psychique, le droit positif considère qu’aucun préjudice personnel n’a pu émerger, et ainsi être transmissible aux ayants-droit.

Pour autant : la victime peut avoir eu conscience de l’imminence de sa propre mort, avec une douleur et un effroi que l’on peine à imaginer, constitutifs d’un « préjudice d’angoisse de mort imminente » parfaitement autonome des souffrances endurées.

Si ce poste de préjudice est soumis à la difficile preuve rapportée d’une telle conscience dans les instants qui ont précédé le trépas, son indemnisation n’est cependant plus subordonnée au décès de la victime directe ;

✓ Décès consécutif à une hospitalisation : certains postes de préjudices personnels temporaires dont la victime directe aurait été indemnisée si elle avait survécu, sont transmis de plein-droit aux successibles. Il en est ainsi de la gêne temporaire totale et partielle, le déficit fonctionnel temporaire, la tierce personne temporaire ou les souffrances endurées.

La victime directe peut également avoir survécu un temps certain permettant la liquidation d’autres postes de préjudices personnels : déficit fonctionnel permanent, préjudice sexuel ou d’établissement.

Le calcul indemnitaire est évidemment adapté à la période comprise entre la date de consolidation (si fixée par les médecins conseils ou expert) et celle du décès.

Le préjudice d’accompagnement ?

L’accompagnement par les proches de la victime directe jusqu’à son décès relève d’une épreuve affective difficile, parfois insupportable.  

Ainsi, le préjudice spécifique d’accompagnement de fin de vie est considéré, sans confusion possible avec le préjudice d’affection. Le quantum indemnitaire est variable en fonction de la durée et de la nature des bouleversements intervenus dans la sphère familiale.

2/ Les préjudices propres aux ayants-droit : 

Le préjudice d’affection :

Ce poste à vocation à indemniser la souffrance morale tirée du décès de la victime principale, avec un quantum indemnitaire calculé forfaitairement, évidemment très en deçà de l’affliction ressentie.

La jurisprudence propre aux juridictions saisies, les conditions du décès, la durée de vie commune, le degré de parenté, constituent des variables d’ajustement de l’indemnisation financière, avec des écarts pouvant aller de à 20.000 €- 40.000 €.

La particularité du deuil pathologique : 

La profondeur affective et/ou sentimentale du lien brisé, la nature et l’intensité de l’agression de la victime directe, peuvent induire chez certaines proches un deuil difficilement surmontable.

Cette « pathologie » se traduit par une profonde spirale dépressive, assortie ou non d’idées noires et de tentatives d’autolyse.

L’autonomie de ce poste est clairement visée dans le corps de la nomenclature Dintilhac, et ne se confond pas avec le préjudice d’affection.

Le préjudice économique des ayants-droit ?

La perte d’un(e) conjoint(e) marié(e) ou pacsé(e) d’un(e) concubin(e) induit de nombreux préjudices patrimoniaux ayant vocation à être comptablement indemnisés :

  • Les frais d’obsèques ;
  • Les dépenses de santé non remboursées ;
  • Les frais divers (déplacement, hébergement, para-médical, etc.).

Le préjudice économique tiré de la perte de revenus de la victime décédée, induisant un calcul complexe :

  • Calcul du préjudice économique du conjoint survivant : la reconstitution du revenu disponible de la famille, par comparaison avec celui antérieurement perçu et déduction faite de la part d’autoconsommation du défunt (15 %à 20 %) permet d’établir le préjudice annuel économiquement subi.

Le préjudice annuel est ensuite « capitalisé » en rente ;

  • Calculer le préjudice économique de ou des enfants : le calcul obtenu au titre du préjudice économique du conjoint survivant est multiplié par la part d’autoconsommation de l’enfant (15 %) avec capitalisation à l’euro de rente jusqu’à l’âge de 25 ans, tenant ainsi compte des éléments d’études et/ou d’emploi futurs de la jeune victime.

À retenir

L’augmentation chronique des féminicides relève d’un grave signal d’alarme sociétal.

S’il n’est pas ignoré et s’entoure d’une prise de conscience générale, son traitement pénal n’est parfois pas à la hauteur de toutes les lâchetés dont il est capable.

*MGTOW : men going their own way : hommes suivant leur propre voie (ou chemin) » : phénomène social d’hommes qui souhaitent se désengager des relations hommes-femmes, qu’ils jugent défavorables, notamment du mariage et de la paternité.

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